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Le mois de Ramadan est l’arène où se battent deux Kabylies, l’une qui avance et l’autre qui recule. Celle qui avance est fidèle à la tradition du pays qui l’a enfantée et qui a fait naître ses ancêtres. Ça peut échapper aux consciences et aux mémoires, la société Kabyle est laïque à sa manière. Depuis l’antiquité jusqu’à la fin des années 90 en passant par le moyen âge, différentes religions ont cohabité bien que depuis plusieurs siècles la majorité pratique l’islam soufi, celui en l’occurrence qui est tolérant et qui a adopté jmaε-liman pas seulement comme expression mais comme philosophie qui incarne la liberté de culte. Une famille qui s’inspire par ailleurs des institutions des pays occidentaux qui pour la majorité dissocie la religion de l’Etat. Plusieurs personnalités Kabyles en ont fait leur ligne idéologique qu’ils expriment chacun à sa manière : Matoub Lounes avec un discours bien explicite, Said Saadi avec un programme politique, Tahar Djaout avec sa plume et la liste est loin d’être exhaustive.

La famille qui recule est en revanche sous l’emprise d’un islam qui en temps et en lieu nous vient d’ailleurs. Une pratique de la religion extrémiste et intégriste qui s’est infiltrée par les interstices d’une carapace idéologique séculaire et propre à la Kabylie, les instances de l’Etat Algérien en sont la première cause. Une famille qui est orientée vers l’orient et qui met la Ouma au dessus de la Kabylité et qui conséquemment veut effacer tout ce qui a fait la gloire de la Kabylie à savoir la prépondérance de la terre et des valeurs Kabyles sur la religion.

L’incident d’Imchedalen la semaine passée est révélateur de ce qui vient d’être dit. À chaque Ramadan un événement survient et nous rappelle que ces deux familles existent bel et bien. Cependant il est aussi révélateur de la capacité de la famille qui avance du fait de sa qualité de majoritaire de prendre le dessus sur celle qui recule malgré la disproportion en termes de moyens. La quasi totalité de la population d’Imchedalen s’est montrée solidaire avec les acteurs du concert et s’est indignée de l’acte ignoble de l’imam qui a tenu des propos désobligeants via le haut-parleur de la mosquée contre le public. Outre la population locale à l’inverse des Algériens, la majorité écrasante des Kabyles a dénoncé l’acte de l’imam originaire de Jidjel et s’est positionnée en faveur des gens d’Imchedalen. La solidarité a été dirigée aussi envers les animateurs du gala en particulier envers Taous Arehab et le percussionniste dit Wachtouti. On rappelle que ce dernier a reçu de la part de certains Algériens toutes sortes d’insultes notamment sur son physique.

Des incidents parfois plus graves surviennent chaque mois de Ramadan qui sont causés souvent par des intégristes, tantôt des agressions contre les non-jeûneurs tantôt des harcèlements. Des crimes ont été déjà commis par des salafistes parfois tuant des femmes enceintes et des vieilles.

Le Ramadan 2013 a été marqué par un événement qui a suscité un débat qui a duré des années. Une journée appelée “jeûne en public” a été organisée par des militants de différentes obédiences politiques dans la ville de Tizi-Ouzou pour dénoncer les harcèlements que subissent les non-jeûneurs et prôner la liberté de culte. On rappelle que Zedek Mouloud est venu soutenir l’initiative ce qui lui a valu des critiques et des menaces de la part des intégristes.
Le combat qui oppose la famille qui avance à la famille qui recule en Kabylie est plus ou moins équilibré. Le point fort de la première est d’aspect quantitatif. Les Kabyles qui sont inspirés par une société multi-cultuelle et tolérante est majoritaire et la preuve en est dans les différents combats qu’a menés la Kabylie, la laïcité a toujours été le cœur des revendications à côté de la démocratie. Le point fort de la deuxième est d’aspect qualitatif, pas seulement parce qu’elle agit intelligemment mais parce qu’elle possède tous les moyens dont a besoin une une idéologie pour dominer à savoir l’Etat et ses différents établissements.

Il n’est pas simple de combattre et de maîtriser cette minorité aux valeurs et aux principes exotiques compte tenu de ses moyens colossaux, mais il n’est tout de même pas compliqué de comprendre que la seule et impérieuse solution et de ne pas se laisser faire. Sans mettre en avant telle ou telle structure politique, ça y va de soit que la Kabylie a plus que jamais besoin de se munir de ses propres institutions. C’est la seule initiative qui permettra à cette dernière de restaurer pérennement la tolérance et la liberté de culte séculaires au pays Kabyle. Entre temps il est urgent de rétablir les assemblées du village indépendantes des institutions de l’État Algérien, afin de contrecarrer les différents islamismes et d’organiser le culte à la manière de nos ancêtres.

Yanis. K