Ameziane kezzar
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Je vais partager avec vous l’extrait d’un texte d’Albert Camus, qui s’intitule « Un appel pour des condamnés à mort », un appel écrit en 1952, en hommage aux prisonniers républicains espagnols victimes de la tyrannie franquiste.

J’ai choisi quelques extraits de cet appel en prenant la liberté de remplacer certains mots par d’autres, en l’occurrence « Espagne » par « Kabylie », « Espagnol » par « Kabyle », « Franquisme » par « Arabo-islamisme », « Europe » par « Monde »… Imaginons donc ce soir, Albert Camus parmi nous, il dirait ou redirait sûrement ceci .

Il redirait ceci, car les tyrannies, qu’il avait combattues sa vie durant, sont toujours là : « Ce soir, nous sommes par malheur obligés de nous borner, une fois encore, à parler de l’unique direction où la politique arabo-islamiste de l’Algérie s’est engagée, et ce depuis son indépendance, et cette direction est indiquée par la mire des fusils d’exécution.

Cette direction a pour elle, au moins, d’avoir été constante et obstinée. Voici plus d’un demi-siècle, en effet, que l’Arabo-islamisme vise le même but : le visage et la poitrine des Kabyles libres. Reconnaissons qu’il l’a souvent atteint et, s’il n’a pas encore, malgré tant de balles, défiguré ce visage sans cesse renaissant, il a bon espoir, maintenant d’en venir à bout grâce à la complicité inattendue d’un monde qui se dit libre.

Eh bien, cette complicité, nous refuserons jusqu’au bout qu’elle soit la nôtre ! Une fois de plus, nous voici placés devant l’intolérable scandale de la conscience humaine ; une fois de plus, sans nous lasser, nous le dénoncerons. Ces nouvelles victimes nous crient, après tant d’autres, du fond de leurs cellules, que la mystification, au moins sur ce point, ne peut durer plus longtemps.

Il faut choisir, en effet, entre l’Arabo-islamisme et la démocratie. Car, entre ces deux conceptions, il n’ y a pas de moyen terme. Le moyen terme est justement cette immonde confusion où nous sommes et où les démocraties s’essaient à être cyniques pendant que l’Arabo-islamisme, par courtoisie, s’essaie à devenir respectueux des lois.

Il donne alors deux avocats à des centaines d’inculpés qu’une banquette d’officiers, avant que les avocats aient pu parler, jugent en un tournemain, en vertu d’une loi spéciale. Il est temps, il est grand temps, que les représentants des démocraties désavouent cette caricature et renient en public, définitivement, la curieuse théorie qui consiste à dire : « Nous allons donner des armes à un dictateur et il deviendra démocrate .»

Non ! Si vous lui donner des armes , il tirera à bout portant, comme c’est son métier, dans le ventre de la liberté. Il est temps de choisir entre le Christ et le tueur et il temps, il est grand temps, que l’église dénonce en public, définitivement, l’injustice que subissent les chrétiens kabyles. Il est temps que les tenants de l’islam dénoncent l’injustice que les Kabyles subissent de la part de la junte arabo-islamique d’Alger ?

Oui, qu’attend-on pour condamner cette étrange religion qui, depuis 14 siècles, s’occupe à bénir de hideuses communions où des prêches de plomb sont distribués, en feu roulant, pour consacrer le sang des justes ? Si cette dénonciation ne se fait pas sans tarder, je ne vois pas quelle raison il y aurait de choisir entre l’hypocrisie et la terreur, puisque l’hypocrisie se serait faite pour toujours servante de la terreur.

Alors l’unité du monde serait consacrée, en effet, mais dans l’infamie. Pour nous, du moins, au milieu de cette surenchère répugnante, nous resterons fermes, nous saurons voir ce qui reste à sauver ce soir comme demain.

Et ce qui reste à sauver, c’est la vie, la fragile, la précieuse vie des hommes libres. Car, si nous laissons tuer ces hommes, ils vont nous manquer, n’en doutez pas, nous ne sommes pas si nombreux. Nous étouffons, au contraire, dans un monde où la qualité humaine est dégradée de jour en jour au plus vite.

A chaque homme libre, à chaque femme libre, qui tombe, dix esclaves naissent et l’avenir s’assombrit un peu plus. C’est cet avenir que nous avons à maintenir ouvert. C’est cette chance de vie, et avec elle la chance de la grandeur, que nous avons à préserver. Et le cri qui nous vient devant ces meurtres multiples est d’abord une protestation révoltée contre la destruction systématique de tous ceux dont la seule existence sauve encore ce monde du déshonneur.

Non, ne les laissons pas mourir, le cœur des hommes n’est pas assez sûr. Tandis que leur vie du moins est sûre, la chaleur de leur sang, leur fierté d’hommes libres.

C’est tout cela qu’il nous faut encore garder parmi nous. Mais pour cela, il nous faut arracher ces hommes aux bourreaux, aux prières de sang, aux calculs dérisoires des chancelleries, aux chefs d’État qui saluent les présidents démocrates après avoir décoré les maîtres du crime : A chaque homme libre, à chaque femme libre, que nous sauvons, dix futurs esclaves meurent et l’avenir, à nouveau, devient possible.

C’est là le sens de notre action, ce soir. En face des bourreaux d’Algérie et d’ailleurs, comme en face de toutes les tyrannies, c’est aussi le sens de notre espoir. »

Paris, le 13 janvier 2024

Ameziane Kezzar