AMEZRUY

Témoignage/ H’mida Ayachi : « Fouettez-le ! Fouettez-le ! C’est un Kabyle ! »

Nous vous avons rapporté un témoignage poignant de journaliste H’mida Ayachi sur le racisme ant-kabyle et ses connexions profondes au sein des pouvoirs algériens.En effet, le témoignage de fils de Belabbas, est une démonstration très claire de la consubstantialité de l’anti-Kabylisme à la nature fasciste et totalitaire de l’état profond algérien qui a opté dès 1962 pour l’arabo-islamisme comme seule référence idéologique qui définira exclusivement l’Algérie indépendante.

Voici l’intégralité du témoigange
“Les responsables de la grève pour l’arabisation ont baptisé leur mouvement « la voix de l’arabisation », c’était une petite organisation, encore au stade embryonnaire où l’on pouvait trouver plusieurs tendances idéologiques conservatrices dont les Nacériens, les pro-Kadhafi, les Baathistes et aussi des réactionnaires religieux.
Ce mouvement abritait en son sein des antagonismes idéologiques et des profils allant de l’étudiant en première année à celui qui prépare un Magistère.
D’ailleurs, ils sont nombreux à officier aujourd’hui dans l’administration, la sécurité, la justice et dans les médias. Certains ont bénéficié de bourses d’études en Grande-Bretagne où ils ont choisi de s’installer définitivement.
D’autres ont fait le choix du retour. Je citerai Hamid Kia, un jeune intellectuel, progressiste originaire de Biskra. Mohammed Bouras, rentré après avoir passé des années en Grande-Bretagne, il deviendra professeur en Sciences Politiques et de l’Information. Badis Guedadra, qui deviendra journaliste. Fodil Ali qui initiera l’entreprise « Echrouk », Salim Guellala qui vivra de profondes transformations.
Il passera de militant dans le mouvement pour l’arabisation à sympathisant des islamistes, puis il deviendra prisonnier politique après l’arrêt du processus éléctoral. Il deviendra enfin membre du RND après avoir séjourné dans les camps de Reggane.
Aussi, Larbi Zouak, qui deviendra un des commentateurs politiques les plus importants du champ médiatique algérien arabophone. Sadek Bekhouche, quant à lui, sera nommé Directeur de la Culture à Annaba, dans les années 90, puis Haut-Responsable au Ministère des Moudjahidine et Conseiller sous le règne de Chadli Bendjedid.
Le Mouvement pour l’arabisation a obtenu de nombreuses victoires politiques . De nombreux membres sont devenus protégés par les Hommes du système.
Ils sont soutenus par des plumes populaires comme le philosophe Abdallah Cheriet, l’historien Saad Allah Belkacem,ou encore, le Conseiller de Chadli Bendjedid, Ahmed Taleb El Ibrahimi ainsi que le Responsable de la Presse à la Présidence de la République, Mahieddine Amimour.
Mais au lieu de transformer ce mouvement en une force intellectuelle et culturelle au sein de l’Université, il s’est transformé en mouvement fasciste, réactionnaire et raciste. Un mouvement qui est passé de la lutte pacifique à la formation de bataillons, comme ils se faisaient appeler. Ces bataillons d’étudiants ont adopté l’arme blanche comme stratégie pour imposer leur idéologie et pour s’opposer à tout autre courant de pensée qui pourrait voir le jour. Ils ont choisi la violence comme force de dissuasion.
Ces bataillons ont été mis en place à l’intérieur même de la Cité Universitaire de Ben-Aknoun, au sein de l’Institut de Droit. Quiconque s’opposait à leur doctrine était qualifié de « traître », particulièrement les militants de la cause Amazigh, notamment les Kabyles, certains militants de gauche,parmi eux les militants du PAGS, le Parti Communiste algérien, qui eux-mêmes s’opposaient à la fois à l’arabisation et à l’amazighité.
Parmi ceux qui ont reçu une notification de « trahison » de la part des islamistes, figurait le Directeur de l’Institut de Droit de l’époque, M.Aouabdi et quelques étudiants qui appartenaient au Parti de l’Avant-Garde Socialiste, le PAGS. Youcef, Mohammed Khadim, Zoubir, Taleb qui étaient en Magistère à l’Institut des Sciences Politiques et de l’Information.
Hocine Boudjellal, qui habitait la Cité Universitaire Taleb Abderrahmane à Ben-Aknoun, s’est fait attaquer par un des bataillons… une nuit de l’automne 1980. Ils ont d’abord inspecté sa chambre de fond en comble. Ils ont trouvé un petit fascicule intitulé « Le Mouvement Léniniste-Marxiste », c’est un livret de propagande illustré par Joseph Staline.
Hocine Boudjellal a été conduit à la Place Verte de la Cité Universitaire où il a été jugé comme un ennemi des patriotes (ils appelaient aussi leur mouvement « les patriotes »).
Il a été fouetté. Puis, on lui a demandé d’apporter la preuve qu’il est bel et bien musulman. Hocine Boudjellal, sous la terreur, prononcera la profession de foi (la chahada) à ceux qui n’étaient pas des islamistes.
Les semaines qui ont suivi, ils ont mis la main sur Zoubir qui a également été fouetté parce qu’il a fait en sorte que de nombreux étudiants menacés puissent trouver refuge dans d’autres Cités Universitaires dont celle de El-Harrach et de Ruisseau où ils pouvaient poursuivre leurs études sans craindre pour leur vie.
Beaucoup d’étudiants originaires de Tizi-Ouzou particulièrement pour leur affiliation supposée au Printemps Berbère qui était considéré comme une atteinte à la langue arabe et à l’islam mais aussi comme étant un mouvement pro-français.
Ainsi, le mot Kabyle est devenu une accusation. En effet, je ressens de la peine et de la douleur quand des souvenirs comme celui-ci remontent en surface. Souvenirs que beaucoup refusent d’exhumer et qui se contentent d’évoquer l’Algérie du premier mandat de Chadli Bendjedid.
Je tenterai de livrer ma propre vérité, à condition que les choses soient dites telles qu’elles étaient et pas telles que nous souhaiterions les voir avec nos yeux d’aujourd’hui…
Je me rappelle qu’ils sont venus voir un certain Moussa, originaire d’un village de Bouira. Il était militant du Mouvement Culurel Berbère… Il était 22h ce soir là. Ils l’ont conduit sur une Place qu’ils appelaient Tribunal Populaire pendant qu’il hurlait, refusant de les suivre, mais personne ne répondra à ses appels au secours… Il a été fouetté jusqu’à perdre connaissance…
Le plus étrange dans tout cela, c’est qu’en face de la Cité Universitaire Taleb Abderrahmane, il y avait une caserne de la Gendarmerie mais elle laissait faire les choses sans jamais intervenir.
Moussa a eu beau hurlé, une voix s’élevait parmi les tortionnaires : « Fouettez-le ! Fouettez-le ! C’est un Kabyle ! ».
Cette haine du Kabyle, de ce qu’il pouvait représenter a été entretenue et utilisée pour jeter l’opprobre sur toute une région, la Kabylie. L’ère de Chadli Bendjedid aura été l’ère de la propagande haineuse, initiée par Ahmed Ben Bella en passant par Boumediène qui ont inventé les Kabyles de Service… ceux-là même qui ont trahi leurs compagnons en 1964″.
Oeuvres et Biographie: H’Mida Ayachi est un journaliste écrivain né en 1958 à Sidi Bel Abbès, ses oeuvres principales : mémoire de la folie et du suicide 1986, les islamistes entre le pouvoir et les balles 1992.
Amdan

Recent Posts

Appel pour les condamnés à mort

Je vais partager avec vous l'extrait d’un texte d’Albert Camus, qui s’intitule « Un appel…

3 mois ago

Contribution : La “justice” algérienne et le Congrès “zéro kabyle” de Mostaganem

Si prompte à juger et à "condamner à mort", et en appel svp, de jeunes…

5 mois ago

Droit de réponse à l’Agence France Presse à propos de l’affaire dite « Djamal Bensmail »

Nous publions l’intégralité de droit de réponse à l’agence France-Presse produit par le collectif Action…

6 mois ago

MOHAMED SIFAOUI, L’ISLAMISTE TOXIQUE POUR SES CAMARADES ET LEURS ADVERSAIRES

  "Le réel s'inscrit en négatif des apparences." Il y a de cela 3ans, Mohamed…

10 mois ago

Les Kabyles n’admettent pas l’idée que le MAK soit un mouvement terroriste

Le Kabyle n'admettra jamais l'idée qu'un militant politique quelle que soit sa cause peut être…

11 mois ago

Lounes Amrane une figure montante de la chanson Kabyle

Lounes Amrane est l'une des figures de la nouvelle génération de la chanson Kabyle. Comme…

1 an ago