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  • Le 13 juillet dernier, un article publié dans Tamurt.info est revenu, à juste titre, sur le portrait tronqué de Bouaziz Ait-Chebib diffusé par la BRTV, la veille de la comparution des six détenus politiques kabyles devant le tribunal de Tizi-Ouzou. Ces détenus, pour rappel, appartiennent tous à des organisations politiques qualifiées de « terroristes » par l’infâme régime algérien parce que… kabyle.

Le racisme anti-kabyle de l’Etat algérien s’exprime clairement et ne souffre plus d’aucune ambiguïté, ne serait-ce que par cet état de FAIT ! Concrètement, l’activisme politique kabyle, d’une manière générale, est qualifié de « terroriste », alors-même qu’il est par définition d’essence démocratique, social et laïc, ancré dans une vieille tradition fondamentalement berbère et méditerranéenne (pour ce qu’il en reste du moins)

Hamou Boumedine, Bouaziz Ait-Chebib, Hocine Azem, Boussad Becha, Belaid AmmarKhodja, El Hadi Taleb…peu importe qu’ils soient du RPK, du MAK, d’AKAL ou de l’URK, ils sont par définition des « terroristes » selon le régime criminel d’Alger, pour la simple raison qu’ils portent des projets politiques visant tous à soustraire la Kabylie au négationnisme arabo-islamique ; concrètement c’est bien de cela qu’il s’agit, que tous le reconnaissent ou non.

La BRTV, malgré de flagrantes impasses, reste présente et couvre médiatiquement la vague de haine et la féroce répression qui s’abat sur la Kabylie. Elle couvre les diverses manifestations de solidarité, de mobilisation pour les détenus politiques et d’opinion en Kabylie et en Algérie. Cependant, elle ne semble pas être en mesure de traiter librement certains sujets « sensibles », liés à la Kabylie et à la revendication d’indépendance portée par le MAK. Je constate simplement le fait. Je ne les juge, ni ne les condamne. Chacun fait ce qu’il peut, là où il peut, en son âme et conscience.

Venons-en maintenant au portrait de Bouaziz Ait-Chebib brossé par la BRTV. Effectivement, comme le souligne Tamurt.info, il retrace correctement le parcours de Bouaziz Ait-Chebib pour ce qui concerne son contexte familial, son engagement, sa personnalité, son amour de la Kabylie et ses années de militantisme dans le RCD, le MCB ;  et ce, jusqu’au moment où Bouaziz quitte le RCD et le MCB-Coordination pour rejoindre le MCB-Rassemblement dirigé par Ferhat Mehenni au moment de l’affaire du boycott scolaire…

A partir de là, le rôle de Bouaziz Ait-Chebib dans la montée fulgurante du MAK a été à peine évoqué, pour ne pas dire complètement… escamoté. C’est comme s’il n’avait jamais rien eu à voir avec le MAK, qu’il n’avait pas été élu à 2 reprise président du MAK ; comme s’il n’avait pas sillonné tous les villages et toutes les contrées de Kabylie pour porter, expliquer, convaincre, que le projet d’un Etat kabyle est la seule garantie de survie du peuple kabyle.

Tout cela, il l’a défendu avec force et conviction dans le cadre du droit à l’autodétermination, convaincu que le peuple kabyle doit, et a le droit de, choisir librement son mode de gouvernance. Il a consacré ses deux mandats à la tête du MAK, à structurer, à rassembler, à organiser et pardessus tout, à convaincre de la nécessité d’un Etat Kabyle dont la nature doit impérativement répondre au model librement choisi par le peuple kabyle, dans sa totalité. C’est au peuple Kabyle de décider, c’est sans relâche qu’il n’a cessé constamment de le réaffirmer.

Voilà quelles étaient, et demeurent, ses ambitions politiques pour la Kabylie : l’autodétermination et la souveraineté au peuple kabyle qui, lui seul, a le droit de décider le statut et le mode de gouvernance qui lui sied. C’est clair, net et précis. Il n’y a aucune ambigüité et nul ne peut l’en déposséder.

 

Tamurt.info fait également remarquer que bizarrement le portrait « s’est arrêté au moment où Bouaziz Ait Chebib a divorcé avec le MAK en 2016 » et ajoute qu’ « Aucune information n’a été donnée sur la suite du parcours de Bouaziz Ait-Chebib, après 2016, ni dans les rangs de l’URK, indépendantiste, qu’il a quitté pour créer le mouvement AKAL, souverainiste, ni sur son rétropédalage de l’indépendance vers le souverainisme, etc. »

Effectivement, le reportage de la BRTV fait une impasse totale sur la période post MAK- 2016, post URK et actuel AKAL.,…et pour cause ! Je les comprends, qui aurait envie de remonter le cours sordide de cette pénible histoire ? Mais puisque le sujet est évoqué avec tant de légèreté, en termes de « rétropédalage de l’indépendance vers le souverainisme», insinuant, de fait, un retour en arrière de Bouaziz Ait-Chebib dans le combat qu’il mène pour la Kabylie, il ne reste plus qu’à « ré aborder » l’histoire et remettre les faits dans leur contexte, à leur juste place.

Pour commencer, il n’y a jamais eu de « rétropédalage » chez Bouaziz Ait-Chebib. La crise du MAK de 2016, liée, entre autre, à l’exclusivité de l’indépendance comme unique option stratégique ne convenait pas à Bouaziz Ait-Chebib, ni à sa direction qui tenait à rester dans le cadre de l’autodétermination; Et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, parce que militer pour le droit à l’autodétermination n’est juridiquement pas illégal en Algérie de par sa ratification par l’Etat algérien ; et d’autre part, avec la répression qui s’abattait déjà durement sur les militants du MAK, harcelés, tabassés, privés de document d’identité, de travail et d’une plus large solidarité (en dehors des cercles militants, et encore…), les temps étaient déjà très durs pour les militants de terrain en Kabylie, on allait pas en plus leur coller des mandats d’arrêts. Je sais bien que les lois, le droit international et les droits humains ne sont la préoccupation de personne, et encore moins des institutions qui leur sont consacrées. Néanmoins, du point de vue du droit international, ratifié par l’Algérie, le militant kabyle, indépendantiste, autonomiste, fédéraliste, régionaliste, exerce son droit dans la plus parfaite légalité et ne fournit pas lui-même le bâton qui servira à le réprimer.

Quant à la suite du parcours de Bouaziz Ait-Chebib, « dans les rangs de l’URK indépendantiste, qu’il a quitté pour créer le mouvement AKAL, souverainiste », comme le souligne Tamurt.info. Là encore, les choses doivent être remises dans leur contexte. Sortis de leur juste place, de tels propos peuvent donner lieu à des interprétations pour le moins… hasardeuses. Quel était donc le contexte de la création de l’URK ? C’était la fameuse crise du MAK, le passage forcé à l’indépendance pour seule option, les calomnies scandaleuses et l’accusation honteuse de « trahison », de « négociation de l’autonomie » qui s’en est suivi, et publiquement lancée par l’Anavad contre Bouaziz Ait-Chebib et sa direction… excusez du peu ! Et comment s’étonner alors que la BRTV n’ait aucune envie d’en parler ?

Quant à la création de l’URK, il y a pléthore de membres fondateurs et nous étions plusieurs, dont, Bouaziz Ait-Chebib, à ne pas vouloir d’une deuxième organisation indépendantiste; cependant, nous avons tous signé, essentiellement par solidarité face à la violence des calomnies. En effet, quelle pouvait être l’utilité d’une deuxième organisation indépendantiste, si ce n’est dresser les égos (démesurés chez nous) des uns contre les autres, ce qui fatalement est d’ailleurs arrivé. En quoi cela pouvait-il nous faire avancer de vouloir concurrencer le MAK sur le terrain de l’indépendance ? A rien et cela s’est vérifié.

Il fallait investir d’autres terrains de lutte pour être au moins dans une certaine complémentarité. S’intéresser davantage à la citoyenneté, à l’autogestion, à une prise en charge effective des domaines encore accessibles de la vie publique en Kabylie. Construire patiemment cet Etat de fait en se réappropriant tous les espaces que nous avons perdu, jusqu’à reprendre main sur notre destinée…Mais rien de tout cela n’a été accepté, ni même écouté. On a préféré railler, se moquer, s’obstiner et trancher : celui qui n’est pas indépendantiste est autonomiste, donc traitre, donc négociateur, donc infiltré etc,., Cela n’a fait qu’alimenter et conforter tout un déballage de vulgaires insanités qui ont fait le quotidien de militants valeureux qui ont tout sacrifié pour leur cause : leur bonheur, leur confort, leur sécurité… Voilà ce que nous y avons gagné !

Enfin, pour terminer, comme le souligne Tamurt.info, il est vrai que « le portrait en question ne s’est aucunement penché longuement sur l’objectif politique que défend Bouaziz Ait Chebib et qui lui vaut son incarcération aujourd’hui. ». Mais cela, aucun portrait ne peut l’effacer: il n’a jamais cessé de le répéter et c’est l’autodétermination et la souveraineté au peuple kabyle qui, lui seul, a le droit de décider.

Aussi, la chute de l’article, qui pose à juste titre la question de l’amputation du « parcours de Bouaziz Ait Chebib à partir de 2016», laisse néanmoins entendre qu’il y aurait des objectifs inavoués : « les concepteurs de cette émission de BRTV ont-ils un objectif inavoué ? Car il est impossible qu’il s’agisse d’une simple omission.»

Je laisse à la BRTV le soin de répondre, ou non, à cette accusation franche et non voilée. Je ne sais ni pourquoi, ni comment la BRTV en est arrivée à tronquer le parcours de Bouaziz Ait-Chebib. Mais pour ce qui concerne Bouaziz Ait-Chebib et ce que suggèrent ces portrait et ces sous-entendus assénés avec tant de légèreté, j’affirme que rien ni personne ne peut le faire changer de vision. Sa position reste inchangée et reflète la synthèse d’une expérience qui l’a mené sur la voie de la raison. Son message, personne ne pourra le dévoyer, c’est l’autodétermination et la souveraineté au peuple kabyle qui, lui seul, a le droit de décider. C’est clair, net et précis. Il n’y a aucune ambiguïté possible.

Yasmina OUBOUZAR